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L’handicap et jiu-jitsu brésilien : une source d’inspiration technique ?

“Jiu-jitsu for everyone”, un slogan, une revendication pour souligner la force du jiu-jitsu brésilien : un art-martial accessible à tous. Hommes, femmes, jeunes ou plus vieux peuvent monter sur les tatamis mais aussi les personnes disposant d’un handicap. De nombreuses histoires témoignent de cela mais peu de média montrent l’approche du jiu-jitsu brésilien par ces athlètes handicapés. Et si au-delà de la leçon de vie, ils pouvaient nous inspirer techniquement ?

 

Jiu-jitsu brésilien et handicap : des leçons de vie

Au cours de cette dernière année, vous avez sans doute vu passé sur la toile des articles et vidéos sur des pratiquants de jiu-jitsu brésilien handicapés. De belles leçons de vie et de courage qui touchent tout un chacun, plus ou moins intensément selon sa sensibilité. De la fille aveugle de Ricardo Liborio, au père de famille américain et ancien soldat amputé de trois membres, ces histoires émeuvent et font relativiser face à nos petits tracas du quotidien.

Il en est de même pour le jiu-jitsu sportif. Vous trouverez aisément un reportage sur des compétiteurs tels que Nicolas Plessy, un aveugle français ou Paolo Amadeo, amputé d’une jambe, qui a fait sensation en ceinture bleu à l’Open Européen de Lisbonne en 2014.

Tous ces portraits contribuent à prouver que le jiu-jitsu est à la portée de tout le monde et montrent ses bienfaits : gain de confiance en soi, développement de la capacité à se surpasser et à s’adapter, etc. D’autant qu’en jiu-jitsu brésilien, il n’y a aucune catégorie “handisport” comme au judo. Tous les pratiquants s’entraînent et s’affrontent ensemble.

Toutefois, n’y a-t-il rien de plus à trouver dans les performances de ces pratiquants de jiu-jitsu brésilien ? Au-delà de la leçon de courage et de la (brève) remise en question qui s’imposent à nous (car oui, personne n’est à l’abri de ce type d’accident de la vie ou d’une maladie), n’avons-nous pas plus à apprendre de ces athlètes ?

J’ai souhaité trouver plus d’informations sur la façon dont ces athlètes abordent les techniques, les combats ou sur la façon dont leurs entraîneurs ont adapté leur enseignement. Malheureusement peu de contenu est disponible sur la toile à ce sujet mais nous pouvons y réfléchir.

Savoir effectuer une technique les yeux fermés

Avez-vous déjà essayé d’appliquer ce proverbe à la lettre ? L’académie Top Team en Islande a tenté l’expérience pour célébrer l’anniversaire d’un de ses membres malvoyant, Richard Harlow. Durant un entraînement tous les membres ont porté un masque pour rouler à l’aveugle. Malgré les conseils de Richard Harlow, ils se sont sentis complètement désorientés.

En effet la vision prend une part (trop ?) importante dans notre façon de percevoir les mouvements ou les intentions de l’adversaire. Pourtant l’ouïe et le toucher sont tout aussi importants. Lorsque l’on éprouve des difficultés à exécuter une technique, ne dit-on pas que l’on ne ressent pas le mouvement ?

Selon Robert Biernacki (l’entraineur de Robert Harlow), “L’intérêt d’un entraînement les yeux fermés est qu’il impose de se concentrer sur ses autres sens et d’être plus technique”*. Après avoir testé le travail technique les yeux fermés ainsi qu’en sparring, je ne peux qu’approuver. Cela me permet de mieux ressentir ma position dans l’espace et de comprendre la mécanique d’un mouvement. Il est aussi plus facile de percevoir la répartition et les transferts de poids nécessaires pour maintenir des contrôles efficaces. Plutôt que de se concentrer sur une somme de détails, ce type d’exercice permet selon moi de sentir le jiu-jitsu brésilien.

C’est un aussi point de progression majeur qui m’a notamment été inspiré par ma rencontre avec Andre Powell à l’académy Lange’s MMA, située à Manly (dans la banlieue nord de Sydney). J’ai eu l’occasion de le voir combattre et j’ai été impressionnée par sa maîtrise et son anticipation du combat (aujourd’hui ceinture marron, Andre venait de gagner les Gracie Worlds en ceinture violette à l’époque). Ses partenaires ne voyaient pas venir ses soumissions. Andre vient de commencer un blog avec pour but de montrer ses techniques et son approche du jiu-jitsu brésilien en tant que malvoyant. Une initiative que je suivrai de très près ! Je vous invite aussi à lire sur reportage à son sujet.

L’handicap comme moyen de se surpasser à l’entraînement

Forcément avec des grips et/ou des appuis en moins, le jiu-jitsu des personnes disposant d’un handicap physique impose des adaptations techniques et stratégiques. Des ajustements qui peuvent se montrer efficaces et ouvrir à un nouveau panel de technique. Voyez Jean-Jacques Machado avec son redoutable underhook et renversement. Il a notamment gagné l’ADCC en 1999 (reconnu comme le tournoi le plus prestigieux en grappling) tout en étant désigné combattant le plus technique du tournoi. Il n’y a plus bel exemple.

 

Plus récemment j’ai découvert Geoff Real lors de l’Eddie Bravo Invitational, un tournoi de grappling à la soumission. Je vous invite à regarder un de ses combats et la façon dont il va au clinch avec une allonge réduite (10’20) pour déployer sa stratégie. Voyez aussi son travail sur l’étranglement depuis la prise de dos et sa défense (54’32) ainsi que la clé de jambe sur laquelle il gagne son combat (1h35’00).

Toujours dans le même tournoi, vous découvrirez le très technique combat de Matt Betzold (10 combat de MMA, 6 victoires dont 5 par soumission). Clinch, takedown, clé de cheville, sa pression sur l’adversaire est impressionnante et ce malgré son handicap.(1h9’53). En plus j’adore son rashguard !

 

Lorsque vous maîtrisez votre technique fétiche et que vous soumettez tout le monde à l’académie, s’imposer un handicap peut être un moyen pour continuer de la parfaire. Royce Gracie dans son interview à Inside BJJ indique que son père (Helio Gracie) “avait l’habitude de s’entraîner à une main. Le jour d’après il changeait et utilisait la main gauche, et puis s’attachait les deux mains pour voir s’il pouvait soumettre ses étudiants.[…] ensuite il fermait les yeux, se les bandait lui-même, roulait, s’entraînait et s’exerçait.”. C’est un moyen pour lui de continuer à se surpasser même sans partenaires d’entrainements de niveau égal.

 

Nouveaux contrôles, armdrag, overhook et stratégie de combat où l’on cherche à passer sous le centre de gravité de l’adversaire mais aussi la recherche d’un meilleur ressenti du jiu-jitsu brésilien… Des pistes d’amélioration techniques pour les petits biscottos comme les miens ou les plus gros !

*Visually-impaired athlete inspires Brazilian Jiu Jitsu competitors, Nanaimo Daily News